La gestion du risque de blessures, principale préoccupation de la cellule médicale

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Faîtes plus amples connaissances avec Rufin Boumpoutou. Après plus douze ans au service de la Section Paloise (rugby), le docteur Rufin Boumpoutou a rejoint les rangs du Stade Rennais F.C. la saison dernière. Celui qui a été médecin de l'Équipe de France de Taekwondo évoque son parcours, son métier, le rôle de la cellule médicale.

« Qui est Rufin Boumpoutou ? »

J’ai 45 ans, je suis d’origine congolaise et naturalisé français depuis plus de quinze ans. J’ai fait mes études à l’Université de Bordeaux et je les ai poursuivies au Centre Hospitalier de Pau où j’ai commencé à pratiquer la médecine d’urgences. J’ai eu la chance de faire partie du staff médical de l’Équipe de France de Taekwondo et donc de participer à des compétitions internationales. Une opportunité qui m’a ensuite permis d’intégrer et d’accompagner des équipes professionnelles comme la Section Paloise (rugby), l’Élan Béarnais Pau-Lacq-Orthez (basket) et le Billère Handball.

« Du Taekwondo au Football »

J’ai été contacté par un ami qui m’a mis en relation avec le Président Ruello. On s’est rencontré, il m’a présenté son projet. J’ai pris le temps de la réflexion, j’ai rapidement été séduit par les installations, les perspectives d’évolution me paraissaient intéressantes. Je voulais m’inscrire dans un projet comme celui-là car j’estimais avoir fait le tour de mon activité. J’aspirais à un nouveau challenge. Je savais que la Bretagne était une belle région. L’idée était de pouvoir bénéficier d’une nouvelle expérience professionnelle tout en découvrant une région nouvelle. Rejoindre les rangs du Stade Rennais F.C., était l’occasion pour moi de découvrir un nouveau sport professionnel de l’intérieur.

« L’accompagnement médical dans le football professionnel »

C’est l’accompagnement le plus avancé dans le paysage sportif professionnel français pour plusieurs raisons. La première est une question de ressources humaines. Les moyens humains sont beaucoup plus importants. À l’exception du football professionnel, il est peu fréquent que les clubs bénéficient d’un médecin à plein temps dans un staff médical. Aujourd’hui, on travaille avec 4 kinés et un préparateur physique. Dans le rugby et notamment à la Section Paloise je travaillais avec 2 kinés et 4 préparateurs physiques sans médecin à plein temps. Pour mettre en cohérence les objectifs de résultat avec les investissements notamment financiers, le football professionnel a su prendre un temps d’avance sur les autres sports au niveau de l’organisation structurelle. Au Stade Rennais et c’est également le cas dans la plupart des clubs professionnel, la prise en charge d’un joueur est intégralement internalisée (il s’agit des moyens humains et matériels mis en place pour s’occuper efficacement du joueur blessé depuis le diagnostic jusqu’à son retour en compétition).

« L’analyse prédictive au cœur du système » 

Les clubs travaillent de plus en plus dans l’analyse prédictive. Cela consiste à emmagasiner un maximum d’informations qui permettront de prédire le risque de blessures chez un joueur et de pouvoir individualiser son suivi et adapter son activité. L’idée c’est d’attribuer une note à chaque joueur à partir d’informations renseignées à travers des questionnaires (sur l’état de forme, le sommeil, le niveau d’alimentation) et des mesures réalisés en salle ou sur le terrain (tests salivaires, physiques, fréquence cardiaque, données GPS…). Une note basse pourrait correspondre à un faible risque de blessures et une note élevée augmente le risque de pépins physiques. C’est théorique mais ça permet d’aider la décision à partir d’arguments objectifs.

« Idée reçue : le footballeur est-il moins solide qu’un rugbyman ? » 

Le footballeur professionnel est avant toute chose un athlète de haut niveau. Il peut paraître moins solide mais en réalité, il n’est pas plus fragile qu’un rugbyman. Si on s’intéresse aux pieds et aux chevilles du footballeur, on peut constater que l’entorse de la cheville est peu fréquente. Cela est dû à des très bonnes qualités de proprioception qui permet au footballeur d’être très résistant aux chocs sur les membres inférieurs. Le rugby et le football sont deux disciplines différentes en termes de volume et d’intensité de course. Beaucoup de rugbymen aurait du mal à enchainer les efforts physiques demandés lors d’un match de football. Un footballeur court en moyenne 11km par match quand un rugbyman des lignes arrière parcourt 8 à 9 km. Au niveau de l’intensité dans le football s’il n’y a pas de chocs (plaquage) ou de percussion, il y a une prise vitesse importante. Les courses répétées à haute intensité, à plus de 25km/h, sont très fréquentes et synonymes de risques de blessures pour l’organisme.

« Les rôles d’une cellule médicale »

Le service médical joue deux rôles majeurs. Le premier est de permettre l’optimisation de la performance du joueur c’est-à-dire travailler avec le préparateur physique et l’équipe technique pour améliorer les performances individuelles du joueur à travers la mise en place de tests physiques et l’organisation de programmes individuels. Mais c’est aussi gérer le risque de blessures. Il s’agit de faire en sorte que les joueurs soient très performants en prenant le risque minimal de blessure. Cela consiste à faire des analyses prédictives, gérer les blessures pour éviter que le joueur ne revienne trop vite sur le terrain mais qu’il revienne le plus tôt possible en étant à 100%, ce qui permet de diminuer le risque de rechute ou de récidive.

« L’avis du doc’ a-t-il un impact sur les choix du coach ? »

Mon but est de conseiller l’entraineur sur l’état de forme du joueur. Celui-ci varie en fonction de la charge de travail aigue (récente) et la charge de travail chronique (sur la saison). Un joueur qui fait tous les matchs de la saison va augmenter son risque de blessure. Statistiquement on sait qu’il y a dans le football entre 35 et 40 blessures toutes les 1000 heures de jeu. Plus on va augmenter le nombre d’heure de jeu sans interruption chez un joueur plus le risque de blessure est élevé. Quand ça concerne un joueur important de l’effectif, on pense aussi à son intégrité et on se dit qu’il faut peut-être le laisser au repos pour qu’il puisse récupérer et repartir avec l’énergie qui lui permettra d’enchainer un nouveau cycle. Il y a les joueurs qui vont ressentir de la fatigue et qui vont passer régulièrement en soin. Ce sont des signes d’alertes qui nous permettent de dire qu’il faut peut-être gérer la semaine. Il faut une bonne communication entre le corps médical et l’entraineur pour savoir ce qu’il vaut mieux faire avec ce joueur. Doit-il participer à moins de séances ? Quelles sont les séances les plus importantes auxquelles il doit participer ? Est-il préférable qu’il fasse l’impasse sur un match afin qu’il soit à 100% pour la semaine suivante. Autant de questions qui rythment notre quotidien.

Que le joueur soit professionnel ou amateur, les délais de cicatrisations sont les mêmes pour tout le monde. Ils vont être différents en fonction des individus parce qu’on n’est pas tous égaux. On ne peut pas faire repartir un joueur plus vite qu’il ne faut parce qu’on sait qu’il va aller au maximum de ces capacités dès son retour sur le terrain, en compétition. Ce qui va augmenter son risque de rechute.

« Comment expliquer la vague de blessés qui a touché le Stade Rennais F.C. ? »

D’un point de vue épidémiologique, il y a deux pics de blessure dans la saison. La période de préparation en début de saison et la période de janvier après la trêve hivernal. On peut y ajouter le mois de novembre période durant laquelle le corps réagit plus au moins bien aux changements de températures : c’est l’entrée de l’hiver, le système immunitaire lutte face aux virus et l’organisme perd de l’énergie et devient plus vulnérable aux blessures. Cette année il a fait très froid à la reprise. On a eu la CAN et puis cette période de matchs rapprochés courant janvier. Trois évènements qui peuvent expliquer la hausse des blessures.

Il existe deux types de blessures. Les blessures dites « non-évitables », à la suite d’un tacle, suite à choc par exemple, et les blessures « évitables » généralement liées à la fatigue musculaire. Et puis il y a la blessure pour laquelle on n’a pas d’explications physiologique hormis un état de tension psychologique identifié. Il s’agit dans tous les cas d’une perte d’équilibre entre ce qu’on va imposer à l’athlète (un match) et ce que son corps est capable de réaliser à l’instant T.

« Respect médical et confidentialité »

En termes de communication, on essaie d’être le plus généraliste possible sur ce qui se passe. La communication des informations médicales précises va être faite soit par le joueur lui-même. Même si le joueur souhaite que l’on donne plus détails sur la nature de sa blessure, on n’est pas tenu de le faire parce qu’on doit respecter la confidentialité de ces informations. Ce qui peut permettre également de protéger le joueur face aux médias. Notre rôle est de pouvoir avoir assez de recul pour pouvoir se positionner comme il faut par rapport aux situations médiatiques qui peuvent être embarrassantes. D’un point de vu déontologique, nous sommes tenu de respecter le secret médical.

« Le point sur l’infirmerie »

On a des joueurs blessés en phase de reprise. L’infirmerie se vide, il ne nous reste que trois blessés (Clément Chantôme, Morgan Amalfitano, Pedro Mendes) qui vont revenir dans les semaines à venir.

« Le Stade Rennais F.C. à la recherche d’enrichissement. »

Il est important de se remettre en question tous les jours et de s’adapter à l’évolution de la science. Nous avons mis en place une cellule « Performance et Recherche » au sein du club. On travaille avec le Laboratoire M2S (université Rennes 2), le CHU, l’institut de formation en kinésithérapie pour améliorer notre façon de travailler. On participe régulièrement à des conférences locales ou nationales. Nous serons notamment présents lors de la prochaine conférence mondiale sur les sciences du football (World Conference on Science and Soccer) qui aura à Rennes fin mai.

Le projet le plus important est de pouvoir améliorer le travail prédictif sur l’état de forme, la gestion du risque de blessure et l’accompagnement du joueur. Il va se développer grâce à l’amélioration de nos capacités à traiter les informations que nous récoltons. On ne pourra jamais tout anticiper, l’idée est de pouvoir gérer un maximum de blessures évitables. Cette approche concernera les joueurs professionnels et également ceux en formation.