Rudy Cuni, l’autre regard du coach

Monsieur vidéo de Julien Stéphan, Rudy Cuni est une référence dans la pratique de son exercice :  entraîneur adjoint en charge de l'analyse vidéo. Un métier qui a pris de plus en plus d’ampleur dans les clubs de football. Rencontre.

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Rudy Cuni
© Stade Rennais F.C.

Rudy, vous revoilà Rennais !
Je suis très heureux de retrouver le Stade Rennais et les personnes que j’ai connues à l’époque. J’ai pu constater que le club a encore évolué. On s’est vite fondu dans le projet. Le club continue de se structurer notamment au niveau de l’analyse et de la data. C’est un grand plaisir de les retrouver.

Les métiers de l’analyse et de la data ont pris une place prépondérante dans la préparation tactique des matchs...
Depuis une petite dizaine d’années, le nom du métier a changé. On parlait d’analyste vidéo, aujourd’hui c’est analyste tout simplement. On se sert de la vidéo comme un outil mais on parle essentiellement de jeu. C’est un support que l’on couple aux données d’analyse de performances ou de l’adversaire. C’est un métier qui a beaucoup évolué, il faut être en veille constante sur ce qui se fait ailleurs. Nous jouons aussi un rôle pédagogique, de traduction des données auprès du staff pour apporter les éléments les plus pertinents possibles dans la recherche de performance.

 

« Plus nous analysons, plus les résultats sont linéaires, et plus nous avons des résultats objectifs »

 

Les non-initiés peuvent estimer que ces nouveaux services sont surdimensionnés dans les clubs...
Ça va dans le sens de la recherche du détail qui est de plus en plus importante. Je peux comprendre qu’aux yeux du grand public ça fasse beaucoup mais quand on réfléchit en termes de recherche du détail, ça prend du sens. Pour l’analyse des matchs des adversaires, ce sont des métiers qui sont très chronophages, cela demande donc des moyens en conséquence. On regarde énormément de matchs et de séquences de jeu. On essaie d’avoir des analyses profondes. Plus nous analysons, plus les résultats sont linéaires, et plus nous avons des résultats objectifs, mais ça prend énormément de temps.

À force que les clubs se développent dans le domaine de l’analyse vidéo, les précurseurs dans le domaine perdent-ils de leur avantage concurrentiel ?
Je ne pense pas. J’effectue mon travail à ma façon, les autres à leur façon. Il peut y avoir des similitudes lorsque l’on regarde les grandes tendances de jeu. C’est quand on entre dans le détail que l’on constate de grosses différences d’une personne à l’autre. L’idée est d’appliquer nos propres filtres à la lecture des matchs et du jeu.

 

© Stade Rennais F.C.



Comment se situe le Stade Rennais F.C. dans le domaine ?
En termes de structuration et de compétences, je pense que le club est dans le haut du panier. On peut être très fier du développement de cette cellule.

Lorsque que tout est analysé, les entraîneurs doivent-ils user davantage de ruse pour surprendre les adversaires ?
C’est un rapport de force. Il y a des coachs qui s’adaptent davantage à l’adversaire, d’autres qui sont plus focalisés sur leurs propres forces et leur projet de jeu. Dans ce cadre, on se concentre sur nous et sur les détails pour contrer l’adversaire.

Les joueurs aiment ça ?
Les nouvelles générations surtout. Elles sont très preneuses d’informations et sensibles à la vidéo. C’est à nous d’être intelligents dans la façon d’apporter les informations. Il y a les séances vidéo mais pas seulement, il y a le formel et l’informel. Nous segmentons aussi les séances vidéo : collectives, individuelles, par groupes, par lignes, sur les coups de pied arrêtés… Les joueurs peuvent recevoir beaucoup d’informations. Notre job est qu’ils les intègrent facilement et reproduisent ce qu’on leur demande sur le terrain.

 

« 90% de nos discussions ne sont pas sur les logiciels mais sur le jeu »

 

Certains vous voient comme des monteurs vidéo, des informaticiens…
90% de nos discussions ne sont pas sur les logiciels mais sur le jeu. L’ordinateur et la vidéo ne sont que des supports, notre temps est dédié à l’analyse de jeu et la façon dont on peut apporter la meilleure information au coach et au staff, on n’est pas des geeks.

Vous êtes plutôt vue de terrain ou vue de tribune ?
J’arrive à m’adapter mais j’aime bien prendre de la hauteur. C’est aussi pour ça que l’on utilise un drone à l’entraînement pour avoir une vue « stade ». Ça nous permet de faire des retours séances. On cherche aussi à développer la vue aérienne en direct des séances d’entraînement.

 

© Stade Rennais F.C.



Peut-on dire que vous voyez le football en 3D ?
En quelque sorte. On n’utilise jamais les images des diffuseurs, parce qu’on ne voit pas tous les joueurs sur le terrain, on ne voit pas tous les espaces. Aujourd’hui on dispose de plateformes de caméras qui nous permettent de voir les matchs sous tous les angles, dans tous les stades de France. Ça nous permet de mieux distinguer les aspects stratégiques, on appelle ça des vues tactiques.

Le monde de l’analyse vidéo est-il un « petit milieu » ?
On se connaît tous plus ou moins, je pense que c’est une force. C’est un métier assez jeune et on a tous à y gagner d’avoir une bonne entente, pour s’entraider sur le partage d’expériences concernant les nouveaux outils notamment. Des groupes de travail sont parfois organisés par la Ligue de Football pour permettre aux clubs de les appréhender au mieux. On est dans une optique de partage en ce qui concerne le métier. Mais en ce qui concerne le jeu et la tactique, c’est silence.

On retrouve bon nombre d’analystes provenant de Montpellier…
Le premier diplôme en ce qui concerne ce métier a été créé là-bas. Beaucoup d’analystes en sortent, c’est tout à l’honneur des personnes qui ont lancé cette formation. D’autres existent mais il est vrai que c’est une référence.

 

« Être en veille est une obligation »

 

À quel point le football est chronophage ?
Je mange et je dors foot. Être en veille est une obligation, par passion et par éthique du métier. Je n’ai pas travaillé pendant dix mois avant de retrouver le Stade Rennais et je n’ai jamais vu autant de foot que pendant cette période, largement mise à profit.

Combien de clubs avez-vous connus ?
Bastia, Rennes, Strasbourg et Montpellier sous la forme d’un stage. On grandit au travers des échanges que l’on développe avec les différents staffs que l’on côtoie. Il est bon de se nourrir des idées de tout le monde. C’est aussi pour cela que j’aime bien voyager pour découvrir de nouveaux horizons et ne pas rester sur mes acquis. Lors des périodes creuses, je pars à l’étranger et j’en profite pour visiter des clubs, voir d’autres environnements fait partie du développement de mon métier. 

Julien Stéphan vous a à nouveau accordé sa confiance. Une belle marque de reconnaissance.
C’est quelque chose dont je suis très fier. On s’est découvert ici à Rennes, on a vécu de belles émotions avec la coupe de France et la coupe d’Europe. Je suis très lié aux demandes du coach et à la vision qu’il a du métier. On a appris à se connaître, ça n’a pas été difficile, ça s’est fait de façon très naturelle. J’ai été très fier qu’il fasse appel à moi lorsqu’il a rejoint Strasbourg.  Revenir à Rennes a été encore plus naturel. Je le remercie beaucoup pour ça car c’est un top coach et une top personne.