Entretien avec François Denis, 5e joueur le plus capé du Stade Rennais F.C. (1re partie)

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Avec 324 matchs disputés avec le Stade Rennais F.C., François Denis est une figure emblématique du club. Défenseur central pendant dix ans, il revient sur une époque où les préoccupations sportives n’étaient pas les mêmes.



François, 120 ans, qu'est-ce que cela vous évoque ?
120 ans, c’est une belle épopée. Le club a vécu plein de choses et de belles émotions. Ça me fait aussi penser à l’évolution du stade. Quand on voit les anciennes images et ce qu’il est devenu aujourd’hui, comme le centre d’entraînement… Il y a une vraie progression.

Vous faites partie du cercle très fermé (6) des joueurs ayant joué plus de 300 matchs avec le club.
Ça fait un moment que j’ai arrêté, en 1997. J’ai quand même passé dix ans sur les cent-vingt. C’est une bonne petite part. C’est surtout les circonstances qui sont étonnantes. Je n’étais pas prédestiné à être joueur professionnel. Je suis arrivé avec Raymond Kéruzoré. Avant, j’étais amateur à Redon et je travaillais le soir, en extra-scolaire, sur Janzé et Retiers. J’étais éducateur sportif. Je faisais la navette Janzé-Redon pour aller m’entraîner le soir mais ça devenait difficile. J’avais 23 ans à cette époque. J’ai décidé d’arrêter à Redon et de signer au Stade Rennais F.C. avec Michel Beaulieu qui était entraîneur de la DH. Puis il y a un moment où Raymond Kéruzoré a fait un peu de ménage dans l’effectif et il m’a demandé si je voulais m’entraîner avec les pros. Je suis arrivé le jeudi, on a fait une mise en place et le samedi je jouais à Nancy. On était en division 2 à l’époque. Je prenais des congés pour pouvoir jouer tous les samedis. Ce n’est pas banal ! Puis je suis resté dix ans.

Ça doit être une grande fierté !
Mon père est natif de Pacé mais j’habitais Saint-Nazaire quand j’étais petit. Je voyais plus de matchs du Stade Rennais F.C. que du FC Nantes. Il y avait une petite part de moi à Rennes déjà. Ça a tellement été inespéré, c’est arrivé tellement vite que je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Je n’ai pas pensé à faire carrière dans le football. C’était quelque chose d’incroyable qui m’arrivait. Ma plus grande fierté est d’avoir duré car ce n’est pas évident de tout le temps se remettre en question. J’étais bien ici et je ne voulais pas aller autre part. Mes parents étaient super fiers.

Il fallait quand même avoir du talent pour taper dans l’œil de Raymond Kéruzoré.
Avant le Stade Rennais F.C., je jouais en troisième division à Redon à l’époque. On jouait contre les réserves professionnelles. À 16 ans, je jouais déjà en division 4 à Saint-Nazaire. C’était une passion, j’aimais ça.

Vous faîtes partie des gens pour qui Raymond Kéruzoré a beaucoup compté…
Il a une grande histoire avec le Stade Rennais F.C. dont celle des trois K, Loïc Kerbiriou, Jean-Yves Kerjean et Raymond Keruzoré. Il me semble qu’ils avaient fait un petit putsch à l’entraînement parce qu’ils avaient une certaine idée du football. C’est un personnage emblématique. J’ai eu trois entraîneurs : Raymond Keruzoré, Michel Le Milinaire en doublette avec Yves Colleu et Didier Notheaux. J’ai passé de bons moments avec tous, j’avais de très bons rapports avec eux, c’étaient des gens réceptifs.
 

« Je n’aurais jamais imaginé faire du football mon métier. »


Qu’a-t-il fallu pour durer autant à ce poste ?
Il faut d’abord se plaire où l’on est, être heureux. Venir à l’entraînement était un plaisir tous les matins. Je n’aurais jamais imaginé faire du football mon métier. Je ne pouvais pas me plaindre. Il n’y avait pas la pression d’aujourd’hui, on en avait bien sûr le jour du match mais dans la semaine, on s’entraînait normalement. Je me plaisais bien à Rennes et je n’avais pas envie de changer. Avec les nouveaux entraîneurs, je me remettais en question. Ça me reboostait et je repartais sur un autre projet. Je n’ai rien fait de particulier, c’était naturel. Je faisais du foot comme j’en faisais à Redon ou Saint-Nazaire sauf que là j’étais payé pour en faire mais pour moi c’était pareil (rires).

Romain Danzé vous a dépassé au nombre de matchs joués en Rouge et Noir. Une sacrée performance…      
Oui chapeau bas à lui, rester autant de temps avec la même motivation. Je pense que lui aussi prenait beaucoup de plaisir tous les jours sur les terrains, sans trop réfléchir. Il a renouvelé les années naturellement. De nos jours, c’est de plus en plus difficile de rester dans le même club. C’est une vraie performance. C’est quelque chose que j’ai suivi d’assez près.

Vous n’avez pas été déçu lorsqu’il a atteint puis dépassé votre cap ?
Je ne suis pas quelqu’un qui s’exprime mais je me souviens l’avoir félicité sur les réseaux sociaux. J’ai fait mon temps et je suis très heureux de ce qu’il a fait, d’avoir joué autant de matchs.

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Quelle est votre saison plus aboutie ?
En 1994, on est montés deux ou trois journées avant la fin du championnat. C’était une grande joie mais émotionnellement la montée à Lorient en 1990 était plus forte puisque l’on marque à la dernière minute du dernier match. On est revenus à Rennes, c’était bondé de monde dans le centre. J’ai plus de souvenirs sur la première montée. Celle de 1994 reste aussi une fierté car on a réussi à stabiliser le club en première division. Puis l’arrivée de François Pinault a fait la différence. On avait déjà Pinault-Printemps comme sponsor. Quand il est devenu propriétaire, le club a vite grandi.

Le football s’est considérablement structuré depuis deux décennies. Peut-on comparer l’avant et l’après 2000 ?
Ça n’a rien à voir. Plein de joueurs n’avaient pas d’agent à l’époque. Il y avait beaucoup moins de médiatisation. Il n’y avait pas de grande différence avec le monde amateur si ce n’est que l’on passait de 2.000 à 10.000 spectateurs. On n’était pas si éloigné que ça d’un fonctionnement amateur. À l’époque, j’avais instauré quelque chose avec l’entraîneur. Tous les mardis, un joueur invitait deux autres joueurs à manger. C’était le rituel du Stade Rennais pour créer un peu de lien. Ça marchait très bien. Après les matchs à domicile, on allait manger tous ensemble. On se retrouvait à 23h30 à des tablées de trente ou quarante personnes. Il y avait une belle camaraderie. Aujourd’hui ça se fait moins, les joueurs sont plus médiatisés. Quand ils bougent à plusieurs, ça se voit, ça se sait, ça se raconte. On n’avait pas toute cette pression. On était tranquille et c’était très bien comme ça.

Il n’y avait pas d’autre pression que celle d’être performant ?
Aujourd’hui, c’est des articles, les gens qui commentent sur les réseaux sociaux. Il faut faire très attention à ce que l’on dit et ce que l’on fait. On décidait notre vie. Par exemple, si un club amateur demandait un mercredi à un joueur professionnel de passer voir les jeunes à l’entraînement, on n’avait pas besoin de l’autorisation du club. Maintenant, les joueurs sont sursollicités. On n’avait pas à faire attention aux sponsors que l’on avait sur les vêtements. C’était une autre époque avec moins de contraintes et plus de libertés. Il n’y avait pas de droit à l’image.
 

« négocier les voitures pour les nouveaux joueurs »


Vous avez aussi été capitaine du SRFC ?
Oui pendant deux ou trois ans puis, de moi-même j’ai remis le brassard. J’avais des idées préconçues sur la vision de manager l’équipe, non pas par rapport à l’entraîneur mais des jeunes arrivaient, je sentais que j’avais fait mon temps. Il était mieux d’investir quelqu’un d’autre sur le capitanat.

Les prérogatives du capitaine étaient différentes ?
À cette époque, il n’y avait pas toute cette structure qu’il y a autour de l’équipe comme aujourd’hui. Par exemple, c’est moi qui allais négocier les voitures pour les nouveaux joueurs qui ne parlaient pas français, les appartements aussi. On s’occupait d’autre chose que le football. Le rôle de capitaine était très large.

Vous avez vécu la période de l’ascenseur D1-D2. Peut-on les nommer les années galères ?
Ça n’a pas été galère pour moi. On n’avait pas un gros budget mais on prenait beaucoup de plaisir. Quand je suis arrivé, le club était une société d’économie mixte. Il appartenait en grande partie à la ville, l’argent était compté. C’étaient les deniers du pouvoir public. On ne pouvait pas faire n’importe quoi. Les moyens étaient limités. Marseille et Paris étaient les cadors à ce moment. À eux deux, ils faisaient l’Équipe de France et puis il y avait les clubs comme nous qui se battaient plutôt en bas.

Malgré l’enchaînement des hauts et des bas, le soutien populaire était toujours là !
Le Stade Rennais F.C. a toujours été le club phare de la Bretagne, ça descendait de toute la région pour venir voir les Rouge et Noir. Ça venait même de Lorient et Brest. Il y avait déjà un engouement énorme à cette époque.



La suite samedi…



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