
À 48 heures d’un énième grand rassemblement de supporters rennais – ils seront plus de 2.600 à chanter leur amour du Stade Rennais F.C. à Glasgow – la parole est donnée à Antoine Biard, réalisateur du documentaire qui ne cesse de faire parler de lui en ce moment. Il s’est immiscé durant treize mois dans le quotidien des ultras Rouge et Noir.
Antoine, es-tu surpris par cet engouement ?
Oui et non. Il y a à la fois un effet de surprise car l’Arvor ne désemplit pas et que le public se déplace dans le centre-ville pour voir ce film sur grand écran, et en même temps, il y a des indicateurs qui montraient qu’il y avait une appétence réelle pour le sujet. Quand j’ai lancé le crowdfunding* la veille du match à Jablonec, le Stade Rennais avait alors 8 à 10% de chance de passer, 200 donateurs ont réalisé un don dès le premier jour alors que le club était quasiment éliminé. Je trouvais important de le montrer au cinéma, dans cette salle symbolique de l’Arvor à Rennes, plutôt que de le diffuser directement sur une plateforme VOD. L’idée était aussi de croiser les publics dans une salle d’art et d’essai.
« J’ai pu le dévoiler en avant-première à plusieurs joueurs. Ils ont adoré. »
C’est un film qui génère beaucoup d’émotions et de frissons. Quelles sont les réactions ?
J’ai pu le dévoiler en avant-première à plusieurs joueurs. Ils ont adoré. Ce qu’ils ont apprécié, c’est de voir ce qui se passe derrière le but. Les retours sont positifs. J’ai été très surpris par les critiques de Ouest-France par exemple. C’est flatteur et perturbant. Je savais qu’il y allait avoir un engouement et que ça allait plaire mais là je suis tombé des nues. C’est assez usant au final. Je suis assez pressé de retrouver mon anonymat. (rires)
Peux-tu nous rappeler la genèse de ce documentaire ?
Il y a cinq ans, j’ai participé à la réalisation d’un documentaire de Manuel Herrero dans « Les Nouveaux Explorateurs » qui était diffusé sur Canal+. C’est un 52 minutes où il décrypte le sport et son impact social dans la région des Grands Lacs et notamment au Burundi. J’ai eu la chance d’y aller dans le cadre de mon travail. Je travaille dans une ONG d’éducation par le sport. J’ai pu voir au plus près les méthodes de réalisation grâce à quelqu’un qui est très inspirant pour moi. Après ça, je me suis dit « pourquoi ne pas faire un jour, dans un cadre personnel, un projet de ce type ». J’ai mis du temps, ça a mûri. Le sujet Stade Rennais F.C. est naturel pour moi pour un tas de raisons. Parce que j’ai été joueur du club jusqu’à 17 ans, en section amateur. J’ai été supporter et membre du RCK quand j’étais jeune. J’ai aussi été stagiaire pendant six mois au Stade Rennais F.C. J’ai contribué à la promotion d’un livre sur Laurent Pokou il y a quelques années. Enfin quand j’étais jeune, je faisais de la radio pour Radio Campus Rennes et je suivais l’actualité du club. C’est un environnement qui m’est familier.
Les matches vécus parmi le kop ont aussi dû être inspirants dans la réalisation…
J’ai toujours été intéressé par ce qui se passait dans les tribunes, tout autant que ce qui se passait sur le terrain. Le football, c’est un spectacle global. Aujourd’hui, l’une des premières choses que fait une personne qui entre dans le Roazhon Park, c’est de regarder si le RCK a préparé un tifo. Il y a quinze ans, ce n’était pas le cas.

Le rendu est très abouti pour un projet personnel…
C’est un projet personnel mais pas amateur. On peut être dans l’auto-production et travailler de manière professionnelle. Il faut briser certaines barrières psychologiques. Il faut arrêter de se dire « On ne va pas y arriver » parce qu’on n’est pas une grosse boîte de production. Il faut juste être bien entouré, créatif et bosser.
Notons l’absence de voix off. Pour quelle raison ?
Cela permet à chacun de se faire son propre avis. Ce n’est pas une ode au Roazhon Celtic Kop. On décrit ce qui se passe derrière le but mais ce n’est pas une publicité. Ce n’est pas fait pour guider les gens.
« C’est un projet hyper collectif. »
Qui as-tu embarqué dans cette aventure ?
C’est un projet hyper collectif. Je suis à la réalisation et à l’écriture mais je me suis appuyé sur des compétences de cadrage, de montage, de graphisme, d’habillage sonore… Il est important de citer Erwan Daniel de TAM production qui m’a suivi pendant treize mois avec sa caméra, Aurélien Le Beau et Aloïs Le Cerf de Voyons VOIR, collectif rennais qui fait notamment les vidéos des TransMusicales. Ce sont deux mecs brillants venus bénévolement pour m’aider sur le montage. Il y a eu aussi Colin Toupé, un artiste motion designer de talent. Je me suis appuyé sur un graphiste impliqué du début jusqu’à la fin du projet. Je remercie aussi Micka de Tropique Noir pour la musique. Avec des compétences diverses et en la jouant collectif, on peut faire quelque chose de professionnel.
C’est aussi un soutien grandissant du public au fil des mois que tu as reçu…
On a eu le soutien du public et des encouragements permanents pendant treize mois, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut noter l’appui du Stade Rennais F.C. qui nous a ouvert ses portes. Le club n’a mis aucune barrière, il n’a émis aucun droit de regard. Ce n’est pas neutre, j’étais en pleine confiance pour réaliser ce documentaire dans de bonnes conditions.
« montrer le vrai visage des supporters qui se donnent corps et âme pour le club »
Le RCK est l’acteur principal. Comment a-t-il accueilli l’initiative ?
Le Roazhon Celtic Kop, au fil du temps, m’a laissé carte blanche. C’est un acteur important au Stade Rennais. Le RCK est le poumon du Roazhon Park. Les tifos font beaucoup parler mais autour de ça, il y a les chorégraphies, les chants constants, les nouveaux chants, les déplacements, notamment ceux en Coupe d’Europe qui ont marqué les esprits. C’est une association assez incroyable qui méritait d’être montrée dans sa vraie nature, et en sortant de certaines caricatures complètement fausses que l’on peut avoir des ultras. Le supporter beauf, alcolo et décérébré, c’est totalement faux. Je voulais montrer le vrai visage des supporters qui se donnent corps et âme pour le club. Il y a une diversité de profils. Je voulais humaniser le supporter.

Chaque exploit des Rouge et Noir la saison passée a-t-il nourri ton film ?
J’ai choisi la bonne saison, c’est sûr, mais en même temps le sujet aurait été tout aussi pertinent si Rennes n’était pas sorti des poules en Europa League. Le sujet, c’est la vie d’une association majeure au Stade Rennais. Ce qui m’intéressait, c’était leur passion inconditionnelle pour leur club dans toutes les circonstances. « Tu ne seras jamais seul », le titre est très net.
La victoire en Coupe de France, c’est le vernis final ?
C’est la fin heureuse, ce qui rend le film très positif. Les ultras parlent de leur désillusion. Le film commence là-dessus d’ailleurs. Il y en a un qui dit « c’est très dur d’être supporter du Stade Rennais », à la fin on le retrouve, « on est tellement fier de l’être. » C’est une chute inespérée mais le fil conducteur n’est pas la victoire en Coupe de France.
« On comprend comment les supporters fonctionnent. »
Ça reste donc un support intemporel…
Il est transposable à n’importe quel club. On comprend comment les supporters fonctionnent. Les codes sont les mêmes, qu’importe la ville. Mais plus on avance dans le temps et la saison, plus la chronologie se met en place avec tout ce que l’on connaît, ça en fait forcément un cadeau souvenir mais ça reste un documentaire universel je pense.
Pourquoi universel ?
Que l’on soit à Rennes, à Strasbourg ou à Angers, c’est la même chose. On est supporter d’un club, on ne sait pas forcément pourquoi. C’est ce que dit d’ailleurs Romain Danzé, « on est piqué » et c’est pour la vie. On n’a pas le choix, quoiqu’il arrive. C’est comme ça dans tous les clubs.
« Tu ne seras jamais seul » vient s’additionner à plusieurs livres édités autour du Stade Rennais F.C. C’est le signe d’un club qui ne laisse plus ou pas indifférent selon toi ?
Le Stade Rennais compte parce qu’il y a eu des résultats sportifs. Cela apporte du crédit a un club qui travaille bien, qui est en Ligue 1 depuis 1994. C’est un club installé, il n’y a pas de débat là-dessus mais il manquait l’étincelle sportive. Le Stade Rennais reste un club populaire avec une moyenne de spectateurs très bonne par rapport à d’autres clubs, certainement dans le top 8 français. Ce film vient compléter une collection de livres sortis récemment et qui confirme que « le Stade Rennais est un p**** de bon club » comme le dit Romain Danzé dans le film. Et c’est vrai. J’ai fait beaucoup de médias nationaux, l’image a changé. On considère beaucoup plus le club.
« la diaspora bretonne et rennaise est énorme »
Où et comment peut-on le voir ?
Deux nouvelles séances ont été programmées vendredi à 21h00 et dimanche à 11h30. Le cinéma Arvor n’avait pas connu un tel engouement depuis des années. Nous avons déjà rempli cinq fois la salle de 215 places. L’objectif, c’est qu’il soit vu par l’ensemble de la communauté du Stade Rennais F.C. Elle est très active sur les réseaux sociaux parce que la diaspora bretonne et rennaise est énorme. On ne s’en rend pas toujours bien compte. Je reçois beaucoup de messages de supporters qui vivent aux États-Unis, au Japon et ailleurs qui veulent le voir en VOD, ce sera possible à la mi-décembre. Nous allons peut-être devoir ajouter des séances supplémentaires à l’Arvor. J’essaie également d’organiser une projection à Paris pour les expatriés rennais.
Sans trop en dévoiler, un moment singulier du documentaire à nous raconter ?
Il y a beaucoup d’anecdotes mais évoquons la réalisation des tifos. Aujourd’hui, tout est millimétré, tout est dessiné à la main, il y a un parallèle avec le street art. C’est un travail titanesque. Un tifo qui couvre toute la tribune Mordelles, ils sont capables de le faire en un mois. C’est hallucinant ! Ça mobilise beaucoup de personnes.
Un ancien du RCK raconte la conception des tifos de l’époque. Avec un autre membre, il faisait ça dans une cuisine et leur unité de mesure était le carrelage. Ils parlaient en carreaux. Pendant un temps, ils n’ont jamais travaillé en mètre. Ils ont créé leur propre unité de mesure pour la réalisation des tifos. Ça montre la détermination d’un supporter.

- « Tu ne seras jamais seul » est toujours en salle au cinéma Arvor, 29 rue d'Antrain à Rennes. Il reste des places pour la séance du vendredi 29 novembre à 21h00 et dimanche 1er dimanche décembre à 11h30.
- Sachez également qu’il reste quelques centaines de coffrets DVD / Édition limitée en pré-achat (livraison avant Noël) sur la boutique en ligne du Stade Rennais F.C.
- Le documentaire sera bientôt visible en VOD sur Vimeo Pro à la mi-novembre.
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